Courage

Si tu n’agis pas par courage, un jour tu réagiras par peur.

Gilbert Choulet, Capitaine de Mon Âme Maître de Mon Destin

Le courage est-il une valeur agile ? Sans doute. Mais que cela signifie-t-il concrètement ?

Pourquoi certaines organisations affichent dans leur charte, parmi d’autres valeurs, la valeur “courage” ? Qu’est ce que cela dit aux acteurs internes et externes à l’organisation ?

Est-ce du même courage dont on parle à titre individuel ou collectif ?

A quoi reconnait-on de quelqu’un, ou d’une équipe qu’elle a du courage ?

Pour mieux cerner ces questions, je vous propose de partir de la place et du sens du courage dans l’agilité. Cela devrait permettre à chacun d’identifier des représentations différentes du courage selon son contexte.

Le courage n’est pas un mot écrit dans le manifeste agile. Il représente certaines évidences aujourd’hui qui ont sans doute été difficiles à exprimer simplement à l’époque. Nous pouvons considérer que le manifeste en lui même, en 2001, était un acte de courage pour faire face à la pensée dominante dans le développement logiciel. Néanmoins, il n’est pas l’oeuvre d’un seul homme contre tous, mais d’un collectif d’experts du développement logiciel contre un système de pensée, le mode de production industriel inadapté aux changements fréquents demandés au bénéfice des parties prenantes. Le message pourrait se résumer ainsi : “Ayez le courage de nous faire confiance, dans votre propre intérêt…” Sans dénigrer la portée impactante que l’on connait du manifeste, peut-être que la valeur courage est à relativiser au profit d’un potentiel de situation et d’une communication efficace de principes et pratiques fédérateurs dans la profession.

Avant le manifeste agile, il était déjà question de courage dans l’organisation du travail d’équipe. Cette notion fait d’ailleurs partie des valeurs affichées dans eXtreme Programming ainsi que dans Scrum.

Courage dans extreme programming

Nous disons la vérité sur les progrès et les estimations. Nous ne documentons pas les excuses de l’échec parce que nous prévoyons de réussir.

Nous n’avons peur de rien car personne ne travaille jamais seul.

Nous nous adapterons aux changements quand ils se produiront.

Analysons le courage des différents rôles de Scrum.

Le courage du Product Owner

Le Product Owner doit avoir le courage de décider des priorités pour l’équipe.

En général, son rôle est légitimé par l’organisation englobante. Quelqu’un lui a confié ce rôle, cette responsabilité et il doit donc rendre des comptes sur ses choix et surtout sur les résultats. Il demande l’avis, décide, et rend compte des nouvelles informations et questions qui se posent pour permettre aux sponsors de dire : “on continue” ou “on arrête”.

Afin que les décisions ne soient pas trop risquées, c’est à dire que les conséquences puissent être majoritairement positives, il est fortement recommandé de découper en choix plus petits et d’avancer petit à petit, de façon pragmatique, empirique.

Le courage se situe dans le quotidien, dans la discipline et la persévérance à tenir une ligne méthodologique pour faire de plus petites choses, potentiellement de plus grande valeur. Culturellement, nous attribuons du courage à ceux qui risquent gros, qui font des paris risqués et qui gagnent… Lorsqu’ils perdent, ils sont étiquetés rapidement d’inconscients ou d’incompétents.

Pour un Product Owner, cela reviendrait à se priver pour un certain temps du feedback des utilisateurs, pour engager l’équipe sur une grosse feature pour laquelle il pressent la valeur.

“Je ne vous dis rien, mais je vous réserve une belle surprise dans quelques mois, faites moi confiance”.

Le coût d’un échec peut vite devenir impossible à accepter. L’échec peut se cacher dans un détail que l’on aurait pas vu. Le courage initial peut assez vite se transformer en excès de confiance, témérité, obstination, ou perfectionnisme.

Le courage de l’équipe

Prendre ses responsabilités collectivement, et à l’intérieur de l’équipe individuellement. Nous l’avons un peu évoqué. La force du collectif pour s’affirmer des positions communes, ou même s’affirmer tout court.

Il est plus facile de s’exprimer dans une petite équipe que devant un public nombreux. Dominer cette peur s’apprend par la pratique, petit à petit.

Focaliser son attention sur ce que l’on a à dire à sa petite équipe, quelle que soit la taille de l’équipe, car elle n’est jamais composée que d’individus comme vous.

Le courage du Scrum Master

Quelle est la responsabilité du Scrum Master ?

C’est de questionner les comportements de l’équipe qui l’empêchent d’être plus performante. Remettre en cause des habitudes, aller au devant des problèmes avant qu’ils ne se posent, afin de limiter leur impact plus tard au risque d’être incompris maintenant, de passer pour l’oiseau de mauvaise augure, ou le rabat-joie de service.

Le risque est de “Crier au loup” trop vite ou trop souvent, mais aussi pas assez vite ou pas assez souvent. Une des façons, est de s’interroger régulièrement collectivement que les signaux qui sont arrivés aux oreilles du Scrum Master, mais aussi aux oreilles des autres membres de l’équipe ne constituent pas un danger potentiel, et en cas de doute, comment pourrions nous nous en assurer à moindre frais ?

A douter de tout et à chercher des problèmes, ils finissent par arriver…

Le Scrum Master peut se nourrir de problèmes potentiels. Son rôle peut se justifier par la présence de problèmes. Tout comme la présence d’un testeur se justifie par la présence de bugs. La mission du Scrum Master peut dériver depuis l’anticipation de problèmes qui se posent réellement avec leur juste évaluation, dans une posture où le Scrum Master sur évalue les signaux, les dangers et joue sur les peurs de l’équipe pour se prémunir de ces moindres dangers. ôter le courage de l’équipe, à prendre elle-même les décisions qui s’imposent, par l’évaluation collective des signaux et des dangers. Le Scrum Master réguler les émotions positives et négatives de l’équipe pour la conduire à des réussites fréquentes de façon durable.

Comment dès lors pourrions-nous parler de posture courageuse ?

Courage en entreprise

Un long voyage commence toujours par un premier pas

Le courage de l’entrepreneur consiste à dépasser ses peurs pour tirer profit de l’incertitude. La réussite peut être au rendez-vous s’il agit un peu plus vite ou un peu mieux que les autres en tous les cas d’une façon singulière qui finit par faire la différence. Alors pourra-t-on dire que le courage du premier pas aura payé.

Afficher ses valeurs appelle des preuves

  • Des preuves de courage dans le passé

  • Des prevues de courage pour anticiper les menaces que présente le futur, en donnant de soi pour aller contre l’opinion générale et celle des siens

  • Des preuves de courage dans le présent, en faisant face à ses peurs, en reconnaissant sa propre vulnérabilité, plutôt que la dénier

Des preuves de courage consistent métaphoriquement à “Sauter dans le grand bain”, à “Jeter son sac par dessus le mur” Parce que lorsque l’on est dos au mur et/ou au pied du mur, il n’y a plus d’autre choix que le courage…

“D’un côté la mort assurée, de l’autre une infime chance de succès, qu’attendons-nous ?” Maître nain du Seigneur des anneaux

Courage et facilité ?

Le courage consiste (parfois ?) à ne pas se laisser aller trop vite à la facilité, à s’interroger sur la portée de nos comportements. Choisir un chemin plus ardu pour se faciliter une pente plus douce, après.

Le courage, c’est aussi attendre le bon moment pour agir, pour être plus efficace. Dans de nombreuses scènes de cinéma, des assiégés en nombre inférieur sont tenus d’attendre le bon moment avant de riposter. Le courage est de maintenir la position alors que l’ennemi approche, que la menace grandit. La mince chance de succès est garantie par l’optimisation de ses forces, pour porter un coup décisif, maximiser l’efficience.

David et Goliath ?

Il existe des raccourcis qui demandent plus d’effort, pour un gain de temps. Mais la plupart du temps on n’est pas certain du gain.

Retarder un bénéfice immédiat au profit d’un bénéfice durable.

Conclusion

Tout ceux qui pensent avoir du courage, tirer de cette force l’énergie pour progresser et faire progresser leur équipe, ne changez rien !

Que tout ceux qui ne pensent pas être courageux parce qu’ils avancent petit à petit en minimisant les risques, en apprenant par essai-erreur, et pour que leur équipe puisse elle-même venir à bout de problèmes complexes petit bout par petit bout, problèmes qui peuvent effrayer et en décourager plus d’un si l’on ne s’y met pas à suffisamment plusieurs, ne changez rien !

Pour ceux qui continuent à faire toujours la même chose pour résoudre un problème, sans jamais obtenir de résultats, quelle prochaine action différente de tout ce que vous avez déjà essayé, action courageuse ou pas, pourrait-vous aider ?

Quelques références à (re)visiter

  • Kent Beck, eXtreme Programming explained
  • François Jullien, Traité de l’efficacité
  • Charles Pépin, Les vertus de l’échec et La confiance en soi
  • Philippe Silberztan, Effectuation
  • Nassim Taaleb, Jouer sa peau

Ma citation préférée sur la place du courage

Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l’être mais aussi la sagesse de distinguer l’un de l’autre.

Marc Aurèle

PS: Pour s’en souvenir, elle a probablement inspirée une série culte.