L'équipe, cette inconnue

L'équipe, cette inconnue

Le philosophe Elias Canetti (1905-1994) écrivait (source 1) que

l’être humain redoute plus que tout au monde le contact de l’inconnu, et que toutes les distances, tous les comportements qu’il adopte, sont dictés par cette phobie du contact.

En suivant cette idée, faire équipe, comme faire société, pourrait répondre au besoin de diminuer notre phobie du contact, en construisant une représentation du monde famillière avec des êtres et des choses familiers pour assurer un certain confort d’existence, à l’intérieur de bordures, de frontières naturelles ou idéologiques, plus ou moins visibles, mais toujours protectrices.

Imaginons plusieurs bordures concentriques, mêlant les notions d’espace/distance et de temps:

  • Le cercle intime : les prôches dans lesquels nous avons une confiance aveugle, et concernant les objets, ceux dont on ne se sépare casiment jamais, sans quoi nous nous sentons plus vraiment nous même.

  • Le cercle familier : un environnement connu avec des personnes aux comportements “prévisibles” et des choses dont nous avons le contrôle, le hasard n’intervenant que très peu.

  • Le cercle d’influence : les relations avec les parties prenantes que l’on cotoie régulièrement, dont on peut prévoir du moins espérer des comportements connus et une fréquentation durable.

  • Le cercle d’incertitude : on ne connait ni les intentions, ni le caractère, ni les forces et la capacité de nuisance de ce tiers-exclu, l’imprévisible dont on ne perçoit que certains traits, ce qui laisse libre court à notre imagination.

  • Le cercle d’inconnu avec l’idée du néant : l’Homme a pu lui attribuer une image, un représentant divin, ou confier à certains scientifique ou explorateur la mission d’en déterminer les contours, en intégrant progressivement les découvertes dans les cercles intérieurs.

Faire équipe, comme Ulysse avec son équipage dans l’Odyssée, c’est se donner les moyens de réussir ce voyage dans l’inconnu, même si nous ne savons pas vraiment ce que réussir signifie de façon intime pour chacun, ni comment traiter avec l’inconnu.

Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage

Quelles raisons poussent tous ces héros dans l’aventure ?

  • la quête du bonheur ?
  • la quête de contrôle sur une vie prédestinée ?
  • réussir l’épreuve de force, de contrôle des éléments extérieurs en survivant à toutes les péripécies et obstacles ?
  • aller au contact avec l’ennemi pour anticiper tâter le terrain et le prendre de cours avec la force de l’adaptation plus que celle du plan ?

L’aventure se poursuit rarement seul. L’autre, l’altérité, les relations sont toujours omniprésentes, même par leur absence. Ce qui survient à nos héros, c’est l’inconnu, qui fait que personne (ou presque) ne s’amuse à spoiler la fin d’une histoire pour faire gagner du temps au lecteur… Il y aurait quelque chose d’absurde et de méchant à gâcher l’expérience.

L’inconnu, l’incertitude est l’“altérité” des parties prenantes d’une équipe. Elle invite davantage à l’humilité et non au dogmatisme qui restreint la pensée comme les actes pour non seulement survivre, mais probablement vivre la vie appelée à être vécue.

L’inconnu est à la fois le tiers-inclus dans l’équipe la part d’elle même qu’elle ne sait pas voir, et le tiers-exclus, cette incertitude que l’on rejète classiquement dans l’autre ou la complexité du monde, dans l’éco-système, marquée trop souvent d’un caractère hostile.

Aussi, l’équipe, pour y faire face doit changer, en faisant la part des choses de ce qu’elle doit garder et de ce qu’elle doit inventer. Dans ce mouvement perpétuel de changement, son essence devient le changement lui-même. Ce qui définit une équipe par un être hybride entre ce qu’elle croit être et ce qu’elle se voit devenir en extériorisant sa représentation du monde.

Jeux / Cadre pour lever l’inconnu

La matrice d’apprentissage

Bien connue des agilistes et des rétrospectives agiles, elle participe à la construction d’une connaissance collective :

  • ce qui a bien marché

  • ce qui a moins bien marché voire échoué

  • les idées qui nous permettraient de nous améliorer et d’apprendre de nos erreurs

  • les questions que nous nous posons et pour lesquelles nous gagnerions à trouver des réponses…

La fenêtre Johari

Un outil de l’Analyse Transactionnelle, qui peut se jouer en coaching individuel ou collectif. L’intention est de sensibiliser à l’intérêt de communiquer sur soi, et à donner du feedback aux autres pour faire fondre la zone inconnue, d’incertitude à risque.

J’ai utilisé la fenêtre Johari en icebreaker avec plusieurs groupes (étudiants, équipe, …). Pépites d’humanité garanties, pour peu que l’on pose un cadre de parole sécurisé.

Références

La citation qui résume le mieux l’équilibre à trouver entre l’individu et le collectif:

« L’égoïsme supplante l’altruisme au sein des groupes. Les groupes altruistes supplantent les groupes égoïstes. Tout le reste n’est que commentaire. » E. O. Wilson (inventeur et réinventeur de la sociobiologie, ainsi que du terme biodiversité)

Le scalisme est l’idée d’une supériorité entre les êtres, idée présente depuis la philosophie grecque antique.